samedi 7 avril 2012

Gadin 2011 : Groupe CRIT (mise à jour 15/04/12)

Mon achat de Groupe CRIT (ticker : CEN) est incontestablement un beau gadin : j'ai commencé à l'acheter vers 20 € et elle est descendue vers 11 €. J'ai moyenné à la baisse vers 14 € mais cela donne une idée de ma moins-value (potentielle).



Elle remonte toutefois fortement depuis 2012 (17 €/titre récemment).

J'ai donc à la fois :
- acheté trop cher
- raté une belle occasion de plus value.

L'objet de ce post est d'essayer de comprendre pourquoi j'ai fait cette erreur, d'en tirer une leçon et de l'intégrer dans mon processus de décision pour éviter de refaire la même. Ce post ("le processus comparé au résultat") des daubasses explique fort bien cette logique.


0. Présentation de groupe CRIT
1. Raisons et état d'esprit au moment de l'achat
2. Qu'est ce qui a mal tourné ?
3. Leçons tirées
4. Et maintenant ?

0. Groupe CRIT

Groupe Crit est spécialisé dans les prestations de travail temporaire. N° 4 en France.

Le groupe a pour concurrents des mastodontes du travail temporaire :



Le groupe développe également une activité d'assistance aéroportuaire. Le CA par activité se répartit comme suit :
- prestations de travail temporaire (82,4%) : à destination de l'industrie (44% du CA), des services (35,6%) et du BTP (20,4%). A fin 2010, le groupe détient un réseau de 431 agences implantées en France (368), en Espagne (44), au Maroc (7), en Allemagne (6), en Suisse (5) et en Tunisie ;
- assistance aéroportuaire (13,2%) : assistance aux avions (tractage, chargement et déchargement des bagages, contrôle des pleins, etc.), aux passagers (enregistrement, sécurisation et collecte des bagages) et au trafic (établissement des plans de vols, contrôle des charges, etc.). A fin 2010, Groupe Crit dispose d'un parc de plus de 800 véhicules et engins aéroportuaires ;
- autres (4,4%)
La quasi-totalité du CA est réalisée en France.

La société est entièrement contrôlée par le PDG et Fondateur de groupe CRIT, Claude Guedj et sa famille, qui a crée la société en 1962.




1. Raisons de l'achat

Si je relis mes notes de l'époque, les raisons m'ayant poussé à l'achat sont :
- la valorisation basse
- activité peu gourmande en investissements, avec une génération de cash même pendant le calamiteux exercice 2008-2009 (chute de Lehman brothers and co)
- chiffre d'affaires du 1sem2010 en hausse de 15 % laissant présager une bonne année 2010

et les ombres au tableau :
- capital entièrement contrôlé par la famille, dividende faible, pas de rachats d'actions => quel retour à l'actionnaire individuel ?
- forte dépendance au secteur de l'automobile et du BTP => cyclique.

Ci-dessous le tableau avec les principaux chiffres tirés des rapports annuels de 2001 à 2009. J'ai corrigé le résultat opérationnel pour tenir compte de l'évolution de la fiscalité à partir de 2007 (ayant trait au calcul des charges sociales, je vous épargne les détails). D'autre part le FCF dégagé en 2002 me paraissait aberrant (sombre histoire de cessions de créances) , je n'en ai pas tenu pas compte.






Fin 2009, le bilan simplifié ressemblait à ça :




Valeur d'entreprise EV = Capitalisation boursière + dette financière LT + dette financière CT - disponibilités
pour un cours de 25 € et 11,25 millions d'actions, EV = 225 + 13 + 58 - 92 = 204 m€

Notons l'importance des disponibilités (trésorerie et équivalents de trésorerie), couvrant largement les dettes financières.

Avec un ROP moyen de 2001 à 2009 de 35m€ et un FCF moyen de 2001 à 2009 de 29 m€ (chiffres moyens du passé étant censés être plus ou moins représentatifs de la capacité bénéficiaire de CRIT dans le futur...) , j'obtenais des ratios EV/ROP moyen = 6 et EV/FCF moyen = 7.

Mon "raisonnement" mi 2010 : "c'est pas cher, l'exercice 2008-2009 a été mauvais mais on n'aura pas une crise majeure toutes les années, d'ailleurs 2010 s'annonce bien => achète vite !"



2. Suite des évènements

Mi-2011 le cours ne se porte pas trop mal (23-24 €). Les comptes 2010 confirment le redressement de l'activité (voir tableau), même si on ne revient pas aux niveaux d'avant-crise avec même une légère augmentation du dividende.



Mais à partir d'Aout 2011 : crise des dettes souveraines, chute vertigineuse du cours (-50 %), d'autant plus incompréhensible que les comptes du 1sem2011 sont plutôt encourageants. Je moyenne à la baisse, pas rassuré du tout et pas suffisamment.

Toujours la même histoire : difficile de se faire confiance totalement, je me demande si je n'ai pas commis une grossière erreur d'analyse.
En septembre, CRIT annonce l'acquisition d'une participation majoritaire dans une société d’intérim aux US (People Link), pour 33 m€.

A partir de septembre, le marché repasse en mode risque "OFF" et le cours remonte brutalement.
En février 2012, Crit annonce un chiffre d'affaires 2011 > 1,5 M€, donc > au niveau avant crise.



3. Leçons tirées

Est-ce que je pouvais prévoir la crise des dettes souveraines, son timing, et l'impact sur les cours ?

Pour moi c'est clairement : peut-être pour le premier point mais clairement NON et NON pour les autres.
Je ne suis pas armé pour faire des prédictions macro-économiques fiables et apparemment je ne suis pas le seul. Donc aucune leçon à tirer sur ce plan.


En revanche ma marge de sécurité était manifestement insuffisante, compte-tenu de la position compétitive de la société (c'est à dire une activité cyclique, sans avantage concurrentiel net par rapport à d'autres groupes d'interim, vendant un service "standard", avec des marges faibles) : première leçon.


D'autre part je pense que j'ai commis deux autres erreurs dans mon processus d'évaluation.

Calcul de la valeur d'entreprise


Ce blog donne beaucoup d'informations pédagogiques utiles, qu'il en soit remercié même s'il y a fort peu de chances que son auteur reçoive mon message ! Voilà ce que j'ai tiré des mes lectures sur ce blog.


De l'intérêt de la valeur d'entreprise (toujours le même blog)
"Comparing two companies with different capital structures; say one company has debt and the other has surplus cash and no debt using price earnings ratios would be misleading. Buffett and Graham say to look at stocks not as flashing prices on a green screen, but as businesses. To know what the market price of an entire business would be you must use enterprise value (“EV”).
 


Sur le détail du calcul
Enterprise Value or the asset value of the company is the price you would pay for the entire business based on the current market price of the company’s share and net debt. This metric assumes that the worth of a company is the sum of all outstanding obligations (stocks, bonds, and debts) minus the cash the company has on hand not needed for the business operations.

Toujours en provenance du même blog.
JG: One of the points that always come out is do you subtract (all) cash?  The answer is no; you subtract “excess” cash (cash that is not needed to run their business on a yearly basis).  You have to decide whether any of that cash is needed.

J'ai mis en gras cette notion d'excess cash = trésorerie excédentaire.
Quel est le cash excédentaire dans le bilan de CRIT ? Quelle part de trésorerie est nécessaire à la conduite normale des affaires de CRIT et ne peut donc pas être considérée comme excédentaire ?

Là je suis bien embêté, si des lecteurs pouvaient m'éclairer j'en serais ravi.

En googlant "excess cash" la méthodologie souvent proposée est la suivante :
cash en excès = cash qui n'est pas indispensable pour couvrir les dettes à court terme de la société
un dessin vaut mieux qu'un long discours



L'actif courant (net du cash) ne suffit pas à couvrir le passif courant : il manque environ 27 m€, qui représentent la trésorerie indispensable à la marche normale des affaires.
27 m€ représentent environ 2 % du chiffre d'affaires, ce qui est paraît-il un ordre de grandeur courant.

Le cash excédentaire n'est donc pas de 92 m€ mais de 92-27 =  65 m€.
Du coup le calcul de la valeur d'entreprise passe (pour un même cours) de 204 à 231 m€, ce qui n'est pas négligeable ; elle était moins bon marché que ce que je pensais : deuxième erreur.




Troisième erreur : croire bêtement que la trésorerie était destinée à revenir aux minoritaires

Il est clair que s'il y a du cash en excès, celui-ci n'est pas destiné à l'actionnaire minoritaire.
En lisant les rapports annuels, l'historique de distribution de dividendes, l'absence de rachats d'actions il était pourtant clair que CRIT est sur une logique d'expansion continue. C'est marqué noir sur blanc dans le rapport annuel :
"Le groupe entend reprendre, dès que la conjoncture économique le permettra, sa stratégie de création d’agences car chaque ouverture d’agence, qui fait l’objet d’une étude de marché pointue, apporte au groupe une clientèle nouvelle et l’élargissement de son fichier de candidats."
 
Dans ce contexte, dès que du cash est disponible il est utilisé pour la croissance externe, mais certainement pas pour rénumérer les actionnaires minoritaires : la trésorerie en excès a donc rapidement été utilisée pour acheter People Link (pour 33 m€).

Si on pousse la logique jusqu'au bout, il n'y a donc pas durablement de trésorerie excédentaire.


4. Et maintenant ?

Les comptes annuels sont attendus la semaine prochaine.
Ce sera l'occasion de faire un point.
Joyeuses Pâques !

5. Mise à jour 15/04/12

Les résultats 2011 ont été annoncés le 10/04/2012 : lien.
Le chiffre d'affaires dépasse le niveau d'avant la crise. Les résultats remontent spectaculairement par rapport à 2010.





Le cours a dévissé brutalement de 10 % : un cas classique de "acheter la rumeur, vendre la nouvelle" ?
Curieusement le dividende est en baisse...

Le PDG, Claude Guedj a donné quelques informations intéressantes dans cette interview.

CF: Pourquoi le groupe a-t-il fait le choix de baisser le dividende à 0,22 euro par action, contre 0,25 euro l'année précédente?
CG: L'impact financier lié au dispositif de prime sur les dividendes nous a dissuadés d'envisager une hausse. Par ailleurs, nous souhaitions conserver des ressources supplémentaires activables dans le cadre de notre stratégie de développement.

Plus de détails sur la prime dividendes ici : les Echos
Vont bénéficier de la prime les salariés des entreprises employant plus de 50 salariés dont les dividendes sont en augmentation par rapport à la moyenne des deux années précédentes.
soit dans le cas de CRIT (0,20 + 0,25) / 2 = 0,22 de dividende à ne pas dépasser pour éviter le paiement de ce prime, ça colle
Pas très satisfaisant pour l'actionnaire mais je comprends mieux  la décision

D'autre part, groupe CRIT annonce ses ambitions :
CG: Nous souhaitons nous développer outre Atlantique, très dynamique sur le plan de l'emploi, et envisageons de réaliser une ou plusieurs acquisitions dès cette année.
Nous nous intéressons tout particulièrement aux sociétés évoluant dans des marchés de niche et affichant des marges confortables.
Nous étudions des dossiers sur tout le territoire américain, avec pour ambition de couvrir une très large partie du pays d'ici cinq ans.

Commentaire : ambitieux mais potentiellement inquiétant (montée de l'endettement ? quid si la situation se retourne brutalement aux US ?)

Conclusion :


La société reste faiblement valorisée, mais je ne me sens pas prêt à renforcer en raison de son caractère cyclique. Aucune raison de vendre non plus. Stand by pour moi.




5 commentaires:

  1. Very interesting to hear your reasoning and a very detailed analysis of the company. Merci!

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    1. Thanks.
      I hope the post was understandable if you used Google translate.
      "se ramasser un gadin" = French slang for to fall flat on one's face, to screw up

      Anyway I bought some more shares at around 12 € a few weeks ago. Time will tell if it was (yet) another mistake.

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    2. Thanks. I speak and read French (as a bilingual belgian) but don't feel comfortable writing about investing in French. Although I didn't yet know that particular french slang, thanks for explaining!

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  2. The low dividend payout as well as the growth policy of Crit could be explained by your analysis in section 0. You clearly pointed out that Crit's competitors were very large players, thus benefiting from some scale and network effects. To stay relevant to both job seekers and employers, staffing companies need to offer both adequate profiles and positions. If Crit wants to stay in the game, it has to invest and keep up with the big players unless they can achieve domination over a some segments...
    Valuation is cheap though.
    Disclosure: I own shares of Groupe Crit (but bought with a Margin of Safety)

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    1. Yes this network effect is probably a central issue for temporary staffing.
      What's your opinion on this "excess cash" stuff ?

      A link to a investment manager discussing Group Crit vs Synergie, a comparable staffing company (page 2)
      http://www.tiepolo.fr/download.php?f=Esquisse%20n13.pdf

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